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Jean-Paul Auxeméry Girations

alligatorzine | zine



l’angle surtout, savoir prendre...



l’angle surtout, savoir prendre l’angle

              où la vue ne calcule plus

                     &

voir ainsi les perspectives & les sentiers,

puis déserter à l’envi
              tous les autres chemins du monde

              &

après avoir ainsi trouvé l’assise simple

                     au midi de la pensée

savoir voir        savoir marcher encore        savoir se poser

              au grand midi

                     :

       pourvoir ainsi à ce qui doit advenir

       puis étant advenu soi-même, rester
                                                                      ainsi

              angle mort, vivante vue –

       les faces du divers tournées vers leur dedans

       yeux des bêtes dormant dans les sommeils d’hommes
       sang des hommes repus, parmi les dépouilles pantelantes

       accrochées aux fourches d’acacias sur la plaine



les ressorts brusquement...



les ressorts brusquement

       détendus

                     le corps
              souple
                            les
articulations
              propres

              :

       ce sont peut-être des vautours
       qui dévorent des morts sans tête

              & la grande déesse préside
              aux charmes de tout anéantissement
              & ses amulettes protègent les défunts
                     acéphales
       que les vautours nettoient


                     cercle parfait

       la charmante charogne la plaisante
              chose
              que vous fûtes

       carcasse récurée à présent
              chose
              que vous êtes


                     :

       pour l’instant votre corps est sur sa garde
       aimant surtout à bondir immobile attendant

       nerfs coudes lombes poumons absolument
       détendus souples sereins
                                                               impassible


                     chef-d’œuvre



regard du fauve...



regard du fauve à l’oblique avant de se jeter dans le fond du talus

        on passe on prend l’image sainte
        on fixe l’œil qui fixe & tue

        on continue
        on est désormais ennobli par l’échange

        œil contre œil
        à jamais

& c’est à jamais désormais que nous serons

       à l’affût

              corde tendue sur l’âme de l’alto

              & danse des lucioles par-dessus

                            :

cet œil rôde à jamais sur la poitrine du volcan

       mamelle ardente des saccages

                            :

              tetraktys âme du monde

              fauve monture ocellée

              numineuse & lumineuse



tourne tourne dans la nuit...



tourne tourne dans la nuit
       que le feu te dévore

gire gire dans l’obscur
       que la flamme te consume

la lionne te regarde et tu ne la vois pas
le faucon te protège et tu divagues à l’envie

ses serres, elles te crèvent les boyaux
les dents de la lionne, elles te percent la carotide

tu es ton propre meurtre
tu es ton seul souci absent

tu t’absentes en effet de toi-même souci
tu te tues te jetant dans les pattes du fauve

       que le feu de tes entrailles bouille
       que te lèche le sang cette langue rêche

              & digère si tu peux
              toute cette nuit bavarde



toi ta face tournée



toi ta face tournée vers les faces inhumaines
       je ne te vois pas        je sens ta présence

toi l’animal qui fixe & renverse & brutalise

à nouveau toi face inverse sous mon visage

       regard tourné vers le dedans        œil sans œil

       inverse moi inverse        masque chair masque bois

à nouveau je te sens        je me vois

       très obscur & très violent

ébauche de je ne sais quoi        face antonyme

       dans l’obscurité d’où sourd
       une parole impossible & nécessaire

& moi fange & limon        bois en creux

       moi raclement regard aveugle

       voix sans voix que ton désir

              béant

moi ma face appliquée

contre les traits de la fibre sans visage

       je renifle je te sens

ligne de feu des yeux braqués de félins alignés sur la paroi

rideau de fond de scène dans la grotte où s’engrossent les peurs



les yeux à l’affût...



les yeux à l’affût
       le corps tourné vers le dedans des choses

dans la sérénité des choses vues dans l’extrême tension

on ménage on entretient on développe une dramaturgie tranquille
       les êtres alentours sont éléments de cette mise en scène

figés sur la ligne de saillie où le vide convoque
       où le vertige se fait rhéteur habile & convaincant –

les formations géologiques composent un charmant précipice

tout le canyon bavarde, énormément        les aigles
       dansent pour un soleil vain leur transe
              vaine & circulaire        &

              on s’en vient plonger vers l’abîme        on est

                     pure pensée d’abîme

                            & si sur cette crête
                     au midi de la pensée
                                   quand l’abîme
                     finit par s’user
                            à force de vouloir séduire

              on revient décharné        sans plus de sens        & retourné

              considérant l’industrie des aigles et des chacals
              comme l’épuisement heureux de toute la randonnée –

        ta dépouille te contemple
        les yeux largement clos 



le paysage est l’étendue...



       le paysage est l’étendue
le regard le couvre        le pas l’investit –

       ce sont des cercles :

       à l’aube le pas suit
       la ligne des empreintes

       concentriquement –

       la pluie révèle,
       ayant lavé le sol

       la ligne croise
       les cercles
              & les cercles
              signent

                            &

quand le pas du quêteur s’achève
quand le cercle atteint sa limite

la bête apparaît        le regard s’ouvre
le paysage est justifié        un lion l’habite

       toute densité vient alors
       de ce que mort en sursis

       le chasseur sort du cercle

& la plaine est noyée dans l’eau de l’œil du fauve

       Hélène aux remparts assiste aux massacres

               désirable & secrète

Ces poèmes font partie d'une suite qui portera le titre de Animaux industrieux, à paraître chez Flammarion.

This material is © Jean-Paul Auxeméry

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